L’exemption de péage de Pépin en 826 et ce qu’elle peut nous dire sur l’activité viking durant une décennie « silencieuse ».
Plongée dans les invasions vikings de la France de l’Ouest — Épisode 3
La semaine dernière, nous avons étudié l’attaque viking sur l’île de Bouin en 820 dans le contexte de la charte de 819, qui avait ordonné le transfert du monastère de Saint-Philbert à Déas pendant la saison des raids. Après cela, les sources se raréfient. Les Annales de Saint-Bertin ne commencent qu’au cours des années 830, de sorte que la côte ligérienne dans les années 820 se situe dans une zone de silence documentaire. C’est là qu’une charte conservée reprend le fil.
Le 18 mai 826, à Pierrefitte, Pépin Ier d’Aquitaine confirma un précepte antérieur de Louis le Pieux et accorda à Saint-Philbert six bateaux exempts de péage sur ses fleuves. Le texte ressemble à une mesure de politique visant à maintenir une économie fragilisée en mouvement. Le monastère de Saint-Philbert partageait alors sa vie entre Herio (Noirmoutier) au large et Déas, sur le continent près du lac de Grand-Lieu ; les bateaux reliaient ces deux pôles.
Le document est clair sur son objet et sa portée :
« … immunes ab omni teloneo … per alveum Ligeris, Helerium, Carim … per caetera diversa flumina ob necessitates ipsius monasterii fulciendas. »
« exempts de tout péage … sur la Loire, l’Allier, le Cher … et sur d’autres rivières afin de pourvoir aux besoins du monastère. »
Il interdit aussi des exactions désignées « en langue vulgaire », ces petites taxes qui s’accumulent à chaque escale :
« Nullus … teloneum, quod vulgari sermone dicitur ripaticum aut portaticum aut salutaticum … »
« Que nul n’ose prélever un péage appelé en langue vulgaire … »
Et il fixe la règle d’usage en énumérant les fleuves :
« cum eisdem sex navibus libere ire et redire sive per Ligerem, Helarium, Carim, Dordoniam, Garonnam… »
« avec ces mêmes six navires libres d’aller et revenir sur la Loire, l’Allier, le Cher, la Dordogne, la Garonne… »
Le commerce est autorisé si nécessaire :
« Quod si mercandi vel vendendi gratiam … facient, … nihil … ab eis exigi praesumatur. »
« S’ils ont besoin d’acheter ou de vendre, ils peuvent le faire, et rien ne doit leur être exigé. »
Que nous apprend ce document ? La production économique de l’île importait à Pépin. Laisser Saint-Philbert dépérir aurait étouffé les biens et revenus dont il dépendait. Il intervint donc pour sauver l’abbaye afin que sa valeur ne s’effondre pas. L’objectif est explicité dans le texte : « pourvoir aux besoins du monastère. » Des besoins, pas des luxes.
C’est ici que le vide narratif nous oblige à raisonner par contexte. Nous avons 820 (Bouin) comme événement-choc. Nous avons 819 comme adaptation institutionnelle avec le transfert à Déas à cause des « incursions fréquentes ». Puis 826 comme soulagement fiscal. La charte ne mentionne jamais les « raids » ni le « sel ». Elle n’énumère pas de cargaisons, n’offre aucun registre comptable. Et pourtant, la politique correspond bien à une abbaye cherchant à maintenir ses lignes d’approvisionnement dans une décennie où la violence et les péages fragilisaient les déplacements. Certains historiens, dont les travaux portent sur les pérégrinations des moines de Saint-Philbert à l’époque viking, considèrent cette charte comme révélatrice. L’image qui s’en dégage est celle d’une organisation sous tension, en raison de perturbations économiques antérieures ou continues causées par les raids vikings.
Il existe toutefois d’autres lectures à garder à l’esprit. Les souverains accordaient parfois des exemptions de péage pour des motifs non liés à une crise : pour remercier une abbaye de l’aide apportée dans une affaire spirituelle, pour expier une faute, ou par simple piété déguisée en politique. Certaines expressions de la liste des péages varient selon les copies. Les noms des fleuves présentent de légères différences d’orthographe. Il faut reconnaître ces coutures.
Même avec ces réserves, la structure tient. Si l’on efface le silence narratif des années 820, on distingue une suite de mesures pragmatiques : se déplacer vers l’intérieur pour plus de sécurité, protéger les bateaux qui transportent les biens, réduire les frais qui rendent chaque voyage déficitaire. En bref, l’acte de 826 est un outil destiné à maintenir les flux financiers et les approvisionnements pendant que la côte restait instable.
Lorsque les annales reprennent dans les années 830, on voit que ce répit n’était sans doute que de plume, et que les eaux au large de la Bretagne et de l’Aquitaine grouillaient de requins d’Odin. C’est là que nous reprendrons la semaine prochaine : avec le drame des incursions répétées sur l’île de Noirmoutier et la décision exceptionnelle de Pépin de leur accorder une charte pour construire un castrum afin de se défendre.
Si vous ne voulez pas attendre la semaine prochaine pour en savoir plus, plongez-vous dans mon premier roman, Les Seigneurs du Vent, qui culmine avec l’épopée de la bataille de l’île de Noirmoutier entre une armée franque et le plus célèbre chef de guerre viking de tous, Hasting.